À Sufokia, les tavernes ne manquent pas. Tous les vieux pêcheurs viennent se rincer le gosier autour d'une bonne bière, et en profitent pour raconter les aventures de leur labeur quotidien. Des plus animées, il existe le "Rince-Pecteur", ou encore 'L'écaille-Piline".
Mais l'auberge secrète, connue seulement des plus anciens ou bien des terribles filous, celle où l'on sert des alcools interdits, et où tout se dit, est le "Bar Hagouyn". Caché au fin fond des égouts, et gardé par deux brutes épaisses, toutes deux portant fièrement une crête rousse et des tatouages aux motifs tribales sur le visage, qui protégeaient le lieu fermement, l'entrée se voyait difficile: Il fallait déjà supporter l'odeur nauséabonde qui en émanait, et être assez aventureux pour se mouiller les bottes dans des eaux usées, mélangées à des substances sombres aux origines douteuses, et enfin, faire preuve de courage pour ne pas devenir tout blanc à la vue des deux montagnes de muscles, qui, semblables à des statues, demeuraient, imperturbables, devant l'épaisse porte de bois.
À l'intérieur, c'était un tout autre univers: D'un côté, des sièges confortables étaient occupés par de riches truands, riant, commentant bruyamment leurs parties de figurines krosmasters, mettant en jeu des sommes colossales, de l'autre côté, des vétérans de la Haute-Mer, qui sirotaient leurs bières, silencieusement, ainsi que d'autres voyageurs mystérieux, enveloppés dans d'amples capuches sombres. Le tavernier, dont l'épaisse barbe grise et les yeux cruels renforçaient son côté antipathique, essuyait ses chopes, parcourant des yeux la salle, régulièrement. Tous ces habitués se retrouvaient en ce lieu le soir, et buvaient, leur visage seulement éclairés par les faibles lumières colorées venant de gelées emprisonnées dans des cages, auxquelles on avait fait ingérer d'étranges pierres lumineuses.
Les portes s'ouvrirent dans un battement, qui ne sembla pas pour autant déranger qui que ce soit. Une silhouette vêtue d'une cape à capuche ample rentra, et s'assit à côté d'un vieil homme dont les rides lui déformaient le visage. Ce dernier, sans porter grande attention à l'aspect physique de son nouveau voisin de table, engagea la conversation, comme si plus rien ne pouvait étonner son grand savoir.
"Alors, on vogue en eaux troubles pour ingurgiter l'écume d'une bonne mousse ?"
"... Ça... C'est un délice, une délivrance. Après une dure journée de labeur, à compter les quelques années qu'il nous reste avant d'rejoindre les fonds marins...," acquiesça l'inconnu.
"C'est bien vrai. Quel métier exercez-vous, exactement ?"
"... Je voyage, J'viens en aide à ceux qui ont trop... D'or à transporter."
"Je vois ! Pas un honnête homme..." Il prit une autre gorgée de son breuvage."Faites-y gaffe néanmoins, de pas vous frotter à l'équipage qui s'fait un nom ces derniers temps, reprit-il."
"... Dites toujours , j'aimerais bien savoir à quelles "terreurs" j'ai affaire," répondit l'encapuchonné en riant.
"J'ai entendu pas mal de choses à leur sujet. Apparemment, il s'agit des pires déchets que not' vieux monde peut contenir. Des espèces d'abrutis, qui seraient bannis du monde civilisé... On n'veut d'eux nul part ! seules les immensités bleutées de la Mer pourrait les accueillir... Et encore. Mais j'pense que le pire, c'est leur capitaine. On parle de lui comme d'un homme cruel, d'un tortionnaire sans pitié, d'un... Non ! Certains disent que ce n'est même pas un homme ! Ça serait une sorte de revenant des fonds marins... D'autres disent que c'est un ancien marin, qui, après être resté toute sa vie sur une île déserte, a perdu tout trait humain... Il parait qu'il mène des projets fous, pour créer des bateaux volants, et piller les richesses du ciel ! Ce pauvre fou est d'une ambition irréaliste... Il choisit judicieusement ses gars: Il lui faudrait les plus crasseux d'entre eux, les plus mauvais... Et on se demande comment ils peuvent s'en sortir, hein ? Ces types doivent avoir plus d'un tour dans leur sac, des tours de lâches. J'en connais moi, de viles crapules, des maîtres dans l'art de la roublardise, des voleurs de talent; Mais ces "Boucaniers Fantasques" ne respectent rien ! Ils foncent, comme une tempête ivre, pour semer la pagaille ! Ils font peur, non pas pour leur puissance, mais pour leur bêtise et leur côté imprévisible. Et si vous êtes fait prisonnier, je vous raconte pas le sale quart d'heure que vous allez passer avec eux...
Il continua à vider sa chope pour abreuver sa gorge devenue sèche, après ce long témoignage.
"Ces jeunes crétins ne manquent pas d'imagination. Mais si vous voulez mon avis: Ils vont finir par se frotter à de réels pirates, et là... On en entendra plus parler, de ces petites frappes !
Après ces mots, le voyageur qui l'écoutait parler eut un léger ricanement. Il acquiesça une fois de plus aux paroles du vieil homme avant d'ôter sa capuche, révélant un crâne lisse, et dont la blancheur s'était terni avec le temps. Le buveur eut un mouvement de recul, manquant de s'étouffer avec sa gorgée. Une voix moqueuse s'échappa du squelette:
"Hé hé hé hé hé ! Mais ce que vous oubliez, c'est que les déchets ne sont jamais broyés: Ils s'échappent au gré du vent... "
Il se leva, et s'appuya contre la table de bois. À ce moment-là, le vieil homme sentit un contact glacial dans le dos: en se retournant de surprise, il vit qu'un deuxième "voyageur se tenait derrière lui, et lui appuyait le canon métallique d'un pistolet contre la colonne vertébrale. Puis un troisième personnage, lui aussi caché par les mêmes vêtements que ses comparses, se leva d'une chaise dans un coin pour les rejoindre. Un dernier était affalé sur sa chaise, et ne semblait pas même comprendre ce que faisaient ses camarades.
"... Et qu'ils forment un tas indissociable ! reprit l'osseux personnage, en riant."
Même debout, le squelette ne paraissait pas si grand que ça. Dépourvu de chair, il était impossible de deviner ses traits d'humeur.
"Et si ce fameux capitaine choisit des mérous de mauvais genre, c'est parce que ceux-là ont déjà connu le hameçon du pêcheur, ainsi, plus rien ne les effraie ! Oui, ils domineront les cieux, et tout ce qui se trouve en-dessous !"
Il regarda le doyen balbutier en guise d'étonnement, et de peur. Il eut un soupir d'ennui, et se rapprocha de son oreille, pour y glisser quelques paroles:
"Mais votre description du Capitaine Chrodil était quelque peu... incomplète. Veuillez suivre mon ami qui vous plaque une main amicale dans le dos: Nous allons vous mener dans un endroit plus tranquille, et parler de tout ça ! Oh, et pensez à prendre une laine, les nuits sont froides dans la cale. Je suis sûr que vous ne regretterez pas votre séjour ..."
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Mer 14 Mai - 19:24